JOHN LEVEE LE CONCRET ET L’ABSOLU PAR JEAN-PAUL GAVARD-PERRET

ecrits sur l'art

John Levee, Hans Hartung and Franz Kline in Kunstmuseums Basel, 1959 ( c. Maria Netter, Schweizerisches  Institut für Kunstwissenschaft SIK-ISEA, Courtesy Fotostiftung Schweiz). En 1944 John Levee a 20 ans, il sait ce qui se passe en Europe. Le jeune pilote s’engage dans l’US Air Force pour libérer l’Europe plongée dans l’horreur, l’apocalypse et la destruction, les déplacements de populations, la déportation et l’extermination de millions de juifs. Après-guerre, bénéficiant d’une bourse d’études, il décide de se fixer en France.  Mais tout débute pour lui à New York. Levee participe alors au renouveau de l’art moderne des années 40-50. Il appartient au mouvement majeur de l’époque – l’expressionnisme abstrait – aux côtés Jackson Pollock, Franz Kline, Adolph Gottlieb, Robert Motherwell, Mark Rothko, Willem De Kooning, Stuart Davies et David Smith.

Malgré des techniques et des langages picturaux différents tous ces peintres révolutionnent l’art de leur temps par une abstraction sensuelle, violente et souvent colorée. L’émotion se donne selon de nouvelles voies et une liberté subversive émerge. Dans cette mouvance le parcours de John Levee est particulièrement intéressant même s’il n’a pas obtenu la reconnaissance publique qui accompagne le travail d’un Pollock, d’un Motherwell ou d’un Rothko. Après l’âge d’or du mouvement et à partir des années 70 Levee s’oriente vers une exigence plus disciplinée. Apparaît dans son œuvre une sorte de néo-constructivisme ou un géométrisme dans lesquels se lisent encore les pulsions de sa période antérieure. Devenant le plus parisien des peintres américains on le classe parfois dans la seconde école de Paris. Mais tout cela reste néanmoins secondaire. Ce qui compte demeure la force particulière d’une œuvre d’une rigueur, d’une pureté rare. Levee n’a jamais triché et son travail le prouve. Et il mérite pour ceux qui l’ignoreraient encore plus qu’un simple coup d’œil.

A gauche John Levee encre sur papier Collection M.O.M.A. New-York, à droite Franz Kline, deux œuvres de 1955, dans histoire de la peinture moderne par Herbert Read. 1960. #johnlevee #franzkline #franzklineartCouleurs et formes simplifiées jouent sur des coups de force. Les œuvres du peintre frappent loin des archétypes fantasmatiques. La peinture parle par et pour elle-même. Il ne faut pas chercher sinon dans son langage ce qui s’y fomente. Le peintre ne cherche en rien à méduser sinon par la puissance stupéfiante d’un propos pictural à la clarté aveuglante. La peinture devient son propre lieu. C’est bien là l’essentiel même si on a reproché parfois à Levee de ne pas mettre assez « visiblement » dans ses toiles une thématique. Mais en art il y a belle lurette que la thématique n’a plus lieu de citer. Il est d’autres médias pour illustrer le monde par effet de réel. Et l’artiste fait mieux : il va plus loin, plus profond. Il atteint les racines de l’émotion alimentée pour jaillir d’une connaissance sans faille de l’histoire de l’art et par une technique longuement élaborée.

La peinture quitte le « cliché » pour devenir épreuve. Et l’œuvre est devenue dans sa propre inventivité une réflexion fondamentale sur le sens des images. Au lieu de « représenter » l’horreur dans sa plus nudité cette peinture devient le génie de son lieu. L’ombre de la chair y est omniprésente mais de manière tacite comme s’il ne fallait pas jouer avec des images trop précises quant au potentiel de réalisme. En ce sens Levee est revenu à un précepte majeur de De Vinci : ne jamais exhumer certains types de traces.

On peut même se demander si pour cet artiste il ne fallait pas rayer de la carte du visible de telles empreintes au nom même de l’invisibilité et de l’irreprésentable que constitue la Shoah et la barbarie nazie.  Ne serait-il pas sur ce plan proche de Claude Lanzmann pour qui si l’on découvre des images de l’horreur des camps il faut les détruire (d’où la polémique de ce dernier avec Didi-Huberman lorsque furent exhumées photographies des fours crématoires nazis). Levee refuse de suggérer une fascination morbide dont le voyeur peut maladivement se repaître. Son œuvre n’a rien de reliques ou de religieux.  Elle veut signaler la victoire de la vie sur la mort. Elle possède aussi l’immense mérite d’oser le beau et de le dégager de « la croyance photographique »  (Gérard Wajcman).

Si parler des camps – comme l’ont fait par exemple Primo Levi, Paul Celan, Anna Arendt, Giorgio Agamben et bien d’autres – demeure nécessaire, il n’en va pas de même dans le champ de l’iconographie. Levee l’a très tôt compris – et son statut d’abstracteur n’y est pas pour rien. Il a préféré une peinture plus profonde, viscérale et rupestre, une peinture simple mais qui n’a rien d’une simple image. Son oeuvre par la position même de son créateur repose les questions essentielles sur la peinture et son fondement. Ce travail n’a donc cesse d’interroger dans un sens d’images plus profondes et dans lesquelles la disparition des « choses » n’est pas – tant s’en faut – une absence de mémoire.  L’œuvre résiste par l’émotion sublimée qui approfondit la réflexion mais en jettent un souffle existentiel sur les vivants (et non seulement les survivants).

John Harrison Levee huile sur toile 114 x 146 cm signée en bas à droite et datée 57, contresignée au dos et intitulée au dos MAY 57. Etiquette exposition Galerie Gimpel  Fils Londres.Ce souffle ne possède rien de délétère et de morbide. L’œuvre préserve quelque chose de salvateur touchant à la mémoire, au savoir, à l’émotion la plus profonde. Elle nous retourne sans complaisante fascination.  En ce sens elle dévoile en imposant son pouvoir non d’étrangeté mais de lieu d’appel absolu, incommensurable. L’œuvre si elle ne veut montrer l’impensable fabrique toujours une « re –présentation » fidèle à l’irreprésentable et qui devient sens du  et des sens. Tout se joue toujours sur la tentative de parvenir à atteindre et provoquer le mental par l’émotion éloignée de l’émotivité basique et de surface.

Certes toute peinture sera toujours coupable de ses manques. Elle n’en demeure pas moins nécessaire et celle de Levee plus qu’une autre. Face aux faux-semblants et bien sûr aux révisionnismes toujours latents l’œuvre de l’Américain de Paris crée l’image qui revient où rien n’est résolu de nos interrogations – au contraire. Mais c’est là sa force de hantise de l’air qui atteint et touche. L’œuvre mieux que tout autre manifeste probablement cet état de survivance qui n’appartient à la vie plus qu’à la mort et nous rend dans un état aussi paradoxal que celui des spectres qui sans relâche mettent du dedans notre mémoire en mouvement. C’est pourquoi il faut se confronter à l’oeuvre :  son génie du lieu sert aussi à penser.

Jean-Paul Gavard-Perret

 

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