Yue Minjun
9 novembre > 28 décembre 2013
GALERIE TEMPLON
30 rue Beaubourg
75003 Paris
+33 (0) 1 42 72 14 10
www.danieltemplon.comAlors que la Fondation Cartier revenait en 2012 sur le parcours du peintre Yue Minjun, icône de l’art chinois contemporain, la Galerie Templon propose cet hiver et pour la première fois à Paris, un ensemble d’oeuvres récentes et inédites de l’artiste, réunissant peintures et sculptures monumentales.
Probablement le peintre chinois le plus influent de sa génération, Yue Minjun s’est fait connaître par ses toiles ambigües, peuplées de personnages aux visages largement ouverts sur d’inquiétants sourires. L’artiste a adopté le rire comme thème central de son oeuvre : rire stratégique, de dénonciation de l’absurdité du monde actuel, il peut se charger de sens différents et lui permet de « cacher son impuissance » ou de caricaturer l’uniformisation de la société chinoise. Yue Minjun est le représentant le plus connu des jeunes artistes chinois regroupés sous l’appellation de réalisme cynique, qui ont rompu avec le réalisme socialiste dans les années 1990. En ces temps de désillusion, liée à l’ouverture du pays au capitalisme de marché, ces créateurs sont « revenus à la peinture des choses authentiques et fiables » selon Yue Minjun. Dans la nouvelle série exposée à la galerie, on retrouve les énigmatiques mises en scène du peintre, ses portraits d’un rose vif, riant à gorge déployée, découpés sur des ciels d’azur aux nuages immaculés. L’artiste use du gros plan cinématographique, mais aussi de jeux d’association d’images où la mort est désormais très présente. Il propose également des improvisations autour de l’histoire de l’art occidentale et orientale – avec des références aussi variées que Les femmes d’Alger ou les labyrinthes chinois. Les sculptures de l’artiste, monumentales, qui reprennent l’iconographie de sa peinture, seront montrées pour la toute première fois en France. Né en 1962 à Daqing, Yue Minjun vit et travaille à Pékin. Après une participation remarquée à la Biennale de Venise en 1999, l’artiste a été exposé dans de nombreuses institutions internationales, notamment au San Francisco Museum of Modern Art en 1999, au Queens Museum de New York en 2007, à la Fondation Beyeler à Bâle en 2011, et a bénéficié d’expositions personnelles au He Xiangning Art Museum de Shenzhen en 2006, au Queens Museum of Art de New York en 2007 et à la Fondation Cartier à Paris en 2012. |
YUE MINJU LE NEO FUTURISTE CYNIQUE AU LARGE RIRE |
par Jean-Paul Gavard-Perret |
Yue Minju a l'odeur de sacralisation en horreur. Idem pour le culte du Commandeur maoïste. Derrière son exhibitionnisme apparemment outrancier se cache une extrême pudeur. L'ostentation possède toujours chez lui un aspect particulier : il s'agit d'une manière de se soustraire à l'indifférence du monde afin de faire surgir ses hypocrisies et sa violence. Le tout sous forme d'une ironie corrosive ue traduit son personnage emblématique et fétiche monstrueux au large rire (dans "Blue Sky and White Clouds" par exemple). De fait il s'agit du peintre lui-même mis en diverses mises en scène et figé dans un rictus hilarant. Toutes ses peintures ne font que débonder les traces du monstre qui entrave la condition d'humain. L'histoire de l'œuvre de l'artiste est donc l'histoire d'une accession à soi contre le "Père" du peuple et tout type de repères (si ce n'est ceux de l'histoire de l'art auxquels il se réfère). L'artiste viole, renverse les rôles au sein des ses fantasmagories monstrueuses, horribles qui possèdent en "cœur de cibles" la puissance politique, policière. Gonflé d’humour acide son travail puise largement dans les chefs d'oeuvre de la peinture européenne et plus particulièrement ibérique (Goya, Vélasquez) afin de dévoiler l'anxiété contemporaine. Proches de la caricature et de l'esthétique pop, ses « grotesques » utilisent les couleurs acides. Rieuses ses figurations soulignent par effet de contrastes l’atrocité de scène où elles sont insérées. Bien que classé dans le mouvement chinois réalisme cynique, Minju refuse ce label. Il ne se sent pas concerné par ce qu’on dit de lui. Désormais mondialement reconnu (en 2007 une des ses huiles « Execution » a été vendue pour six millions de dollars, c’est l’œuvre la plus chère de l’histoire de la peinture contemporaine chinoise) le peintre donne à voir de la façon la plus crue ce qui échappe à la vue. Mais le voyeur sera toujours déçu par une stratégie qui élimine volontairement des repères importants (dans "Execution par exemple les armes servant au massacre sont occultées, seule la mise en joue est exposée). Le peintre réussit cependant à construire ses toiles comme des machines de guerre au coeur de son ironie plus violente qu'amère. Fantôme ou réalité, on ne sait plus dans quel monde nous sommes exactement plongés. A l’aide de simples indices - qui prennent soudain une valeur générale - l'artiste reconstruit fantasmatiquement un univers de vengeance et de reconquête. Chaque œuvre devient un site particulier dans lequel Yue Minju aborde les problèmes de la perception visuelle et la découverte de la cruauté. C’est là une manière de rejouer une histoire et l'Histoire à l’aide de fragments et vestiges en une œuvre d’essence parfaitement autobiographique mais qui se refuse de raconter quoi que ce soit qui ressemblerait à une confidence ou à un récit de souvenirs. Si le capitalisme en quelques années a vidé de contenu la doxa maoïste, il ne risque pas pour autant en élevant le niveau de vie d’exhausser la vie intérieure de l’homme. Minju rappelle que la morale capitaliste ne sauvera pas l’homme des excès précédents. L’enjeu de l'œuvre ce néo-futuriste chinois d'un genre particulier se joue dès lors sur deux fronts dans la double éradications de deux idéologies opposées qui pour l’heure cohabitent encore en montrant au passage que les mythologies idéologiques sont plus complexes qu’on ne le pense. Le futurisme chinois n’a donc cesse de donner des rendez-vous volontairement « manqués » à des concitoyens continuellement nargués par des idéologies qui ne veulent en théorie que leurs biens... L'artiste montre l'angoisse inhérente à tout acte de franchir une porte interdite, d’arpenter un lieu qui n’est pas le nôtre. Minju reprend donc à son compte la descente de l’Igitur enfant de Mallarmé. Comme lui il émet un coup de dés et entre dans un “ tombeau ” pour le pénétrer et voir ce que cachent les actes les plus terribles afin d'en montrer sous l'apparente victoire politique la défaite humaine. Au cynisme officiel répond ainsi celui d'une œuvre dont la force épique reste indéniable. Jean-Paul Gavard-Perret |