LES AMBIGUITES PHOTOGRAPHIQUES DE DAIDO MORIYAMA
Daido Moriyama, « Erotica », Galerie DA-END, Paris 6ème.
15 Septembre au 30 novembre 2011
Vernissage le jeudi 15 septembre 2011 à 18hPhotographe « hype » Daido Moriyama semble oublier une idée majeure. L’image n’est capable de finalisation que dans la mesure où elle établit entre des réalités sensiblement distinctes des rapports et de échanges.
Chez lui l’image n’est jamais trait d’union mais un voile au moment même où elle prétend faire œuvre de nudité en exposant des corps nubiles dans des décors inattendus et souvent glauques (bar interlope, décharge publique).
Voulant confronter le corps au décor l’artiste confronte plutôt l’être et la bête ou plus précisément encore l’image de la femme et de la jument comme dans la Prinncesse Rouge de Sternberg mais une princesse dont on a retiré les vêtements ^pour faire ressortir un en-deçà de la représentation de divers excès.
Toutefois à l’inverse de chez Sternberg le modèle n’a rien d’une Messaline nippone. Ses possibles débauches la rangent du côté non d’un changement d’identité mais d’une métamorphose animalière même pas lubrique –- puisque la lubricité n’est pas d’un ordre animal. De l’empire des sens il ne reste plus rien. Moriyama feint d’offrir une réflexion sur le sens des lieux comme des images et leur symbole en composant avec l'inattendu afin créer des espaces de rencontre Ces derniers seraient autant physiques, réels que mentaux, sensoriels et imaginaires. Ils mettraient en cause la présence de l'invisible, du « lager ». Voire… Le plus petit commun multiple de ses clichés est l’esthétisation à outrance. Le plus sordide se transforme en un espace artistique dont la femme est un totem animalisé et porteur de tabous. |
Cette méthodologie reste facile. Une pléiade de photographes avant lui superpose deux types d’espaces : celui du littéral et celui du fantasme. Cette rencontre n’est iconoclaste que pour des magazines où l’artiste travaille tels que « Provoke » ou « Playboy »… On laisse croire qu’il poursuit une logique de désacralisation. Mais son ironisation blasphématoire (on se demnde envers qui) reste superficielle. La profanation est quelconque. Elle ramène à un degré zéro où la femme n’est que pur objet et se retrouve reléguée à l’usage commun d’un tout venant de l’iconographie. Les dispositifs de Moriyama ne mettent pas à mal ceux de nos sociétés. Ils les renforcent dans le fétichisme et la facticité. Certes les clichés sont plaisants mais leurs puissance demeure restreinte. Les images qu’on fit sulfureuses ne possèdent une sorte d'ostracisme fondamental : elles ne sont qu'un voile, un mensonge, un piège. L’art n’est jamais haussé au rang d ‘une machinerie « désimageante » de la nudité s’il accepte simplement de la présenter sans des mises en scène plus périlleuses que celle du photographe nippon. L'ambiguïté régit son protocole de double représentation. Les spectres qu’il semble déplacer remettent du fétiche dans la mémoire, du fantasme dans le regard. Une sorte de didactisme de la nudité éclate au détriment d’une forme de liberté créatrice. Une plasticité à nouveau plombée en sort. C’est un pétard mouillé. Jean-Paul Gavard-Perret Daïdo Moriyama et la photographie de nu ?
Sa première série, datée de 1969, aborde le nu de manière inédite : une dizaine d’images, mal tirées, une femme sans visage et sans identité, sur un lit, les positions sont naturelles, sans fard ni pose, jambes écartées, cul en l’air, sous le drap ou la douche. Instantanés d’avant, pendant et après l’amour. En tout une cinquantaine de photographies seront exposées, du noir et blanc, mais aussi et surtout des clichés érotiques parfaits et en couleur, une couleur monochrome comme il les aime. A noter les titres de ces séries, de purs chef d’oeuvres de poésie : Premonition of a Virgin, Invading Eyes, Seized the moment, On the bed, COMMEINMYHOUSE, Ballad of Violation. Quand on lui pose pourquoi ces titres, il répond d’une sentence sans appel : «dans la vie quotidienne il y a toujours des choses inquiétantes et un peu folles...» Ces images proviennent d’un travail de commande pour Playboy, l’édition japonaise. Une fois toutes les deux semaines le magazine publiait ses photos, alternativement, l’autre semaine, était consacrée à Kishin Shinoyama, célèbre figure de la photographie commerciale, qui se fera connaître par ses nus. Surtout ne pas voir en ces photographies un ralliement à la cause capitaliste, voire à la presse américaine. N’oublions pas que Moriyama est un révolutionnaire et à cette époque comme tout bon agitateur japonais, il n’a qu’une lutte, celle contre l’impérialisme américain. Daido Moriyama est né en 1938, il a connu comme toute sa génération, le chaos des bombardements, les deux bombes nucléaires et la défaite de l’empire. Sa photographie est le médium de leur crise d’identité personnelle et collective. Patrick Rémy, Paris 2011. Biographie sélective de Daïdo Moriyama :• 10 octobre 1938 : Naissance de Daïdo Moriyama à Ikeda-cho, Osaka. |
DAIDO MORIYAMA : FILLES EN L’ATTENTE ET FEMMES INCANDESCENTES |
« Entre donc dans l’abstrait, dans l’obscur, dans l’énorme, Renonce à la couleur et renonce à la forme ; Soit ; mais pour soulever le voile, le linceul, La robe de la pâle Isis, te voilà seul. Tout est noir. C’est en vain que ta voix crie et nomme. La nature, ce chien qui, fidèle, suit l’homme, S’est arrêtée au seuil du gouffre avec effroi. » (Victor Hugo) |
Triangle noir du sexe - mais quel noir ? Triangle sans bords ou sans fin d’une femme prise en une nuit, violée par l’étincelle soudaine du photographe lui même perforée par les rayons du corps des femmes. Aucune chez Moriyama ne se noie dans les lacs de l’esprit qui est la vraie matière de l’ombre La lumière coule en nappe égale et douce sur les corps jeunes et menus. En eux-mêmes s’enveloppent un soleil secret ou la lampe perpétuelle des sépulcres. Cette lumière - aussi nue que la femme - est presque blessante plus proche des ténèbres que la pénombre. Tremper dans cette ténèbre solide fait des femmes des corps glorieux. Leurs séries auxquelles l’artiste se « soumet » crée un tourbillon émietté. Ce dernier reste à la frontière de la presque ténèbre mais aussi embrasement d’une attirance qui réveille les désirs obscurs D’une certaine manière par le luminosité Moriyama montre la nuit des sens. Ils s’arrachent aux étoiles de sang sous la craie des peaux. L’espace et le temps explosent et annonce autant une divine petite mort qu’un rêve de pierre Entre le triangle du sexe et la circularité des seins la photographe crée des trou dans l’écorce du réel citadin que l’ artiste a tant photographié. Comme lui et comme ses égéries on se laisse surprendre, on tombe de haut pour se laisser défaire Tout dans l’œuvre découle du concept d’espace-temps élastique. Le corps est beau et quelconque à la fois. Bille ou balle ou encore élastique tendu. Plus le corps est massif, plus la courbure qu’il imprime est important. La transcription visuelle de Moriyama donne une idée concrète de la façon dont il relie la densité de la matière photographique à la courbure de l'espace-temps qui épouse celle celles des corps. De telles jeunesses nues prennent une distance limite qui devient la frontière du trou noir. A savoir l’endroit où « ça » se laisse voir et tout se cache. Ce n’est plus une frontière physique qu’on pourrait toucher, mais une frontière géométrique de l’espace-temps. Elle marque la séparation entre une zone simplement incurvée et une zone de non-retour. L’œuvre semble sortir naturellement des équations d’Einstein, en tant qu’objet suffisamment compact pour creuser dans le tissu de l’espace-temps un puits sans fond. On appellera trou noir non pas le corps qui se trouve là mais toute la zone à l’intérieur de sa frontière de non-retour. Cette frontière est un horizon des événements qui n’arriveront pas puisque face au presque encore adolescente on restera voyeur. En conséquence on ne peut plus rien observer au-delà – tout comme le navigateur au milieu de l’océan qui ne voit rien au-delà de son horizon visuel. Reste la menace du triangle noir :et le fleuve de feu qui dévaste l’homme jusqu’au pays des morts comme dans l’empire des sens. Mais un Empire des sens où rien n’aurait lieu que le lieu. Chez Moriyama les êtres ne se joignent pas, ils ne s’unissent pas, ils gisent dans le vide des villes. De telles femmes se meurent dans l’abîme où le regard se perd comme les rochers roulant du haut des montagnes. La photographie s’ouvre sur les soleils noirs et se referme, elle sèment dans l’espace la ténébreuse présence du gouffre désirable. Hors champ, dans les champs noirs du vide, l’être se refroidit, lentement détruit. Ses ulcères de feu décroissent sous une lèpre d’ombre. Mais dans le charbon d’un monde éteint, par la photographie, rampe une flamme qui par instants lèche le bord des vies qui s’évanouissent sans bruit. Moriyama tel un géant de lumière ne veut pas périr sans insulter la ténèbre Autour de lui les femmes – jeunes de préférence - restent des étoiles d’ombre que le temps sans doute fera déchoir. Mais c’est le lit de toutes étoiles. Pour l’heure l’artiste gravitent parmi ses sœurs blanches. Nul œil au monde ne peut mieux les voir que lui. Elles ne sont jamais frivoles. Elles tremblent d’éther. Suintement sans fin de soleils morts pour qu’à leur vue le notre se relève. Moriyama sait saisir, étreindre : le manque crée une dimension autre. Le voyageur qui regarde ses portrais ne fait que suivre la trame de l’espace, le chemin le plus naturel de l’existence dont il pousse la logique de dévoilement à son extrémité. La femme nue dans la ville devient une boule de vie autour de laquelle on « orbite » comme si nous étions planète. Bref il met à nu l’état premier du monde, il montre des masses fragiles, froides. Immobilité sans renaissance, rêve d’un univers entier enseveli dans le noir mais il ne laisse échapper ni matière ni lumière. C’est une tache aveugle pour les dispositifs de détection. Le corps reste obscur. Voilà ce qui détermine ses courbes et ses formes. Il doit se former comme un trou noir dans le cosmos : par effondrement d’une étoile massive. Cela implique qu’il ne se trouve pas isolé dans le vide, il doit être entouré d’autres comme lui, vestiges de ceux qui lui a donné naissance. Dès lors le visible imprime l’invisible. Chacun tourne autour d’un l’autre. La douceur de la danse de jeunesse semble déjà passé en dépit de l’âge des modèles. Reste leur fixation ou une danse immobile légèrement embarrassée par les irrégularités des sexes. Est-ce que le moins chaud tourne autour du plus chaud ? On ne peut l’affirmer. Dans la froideur la flambée gigantesque à l’horizon, l’apex de l’embrasement : Fille qui attend ? Mère qui brûle ? Si l’eau ennemie du feu brûle elle-même où trouver refuge ? Aux visions radieuses s’entremêlent les songes noirs. Moriyama les capte. Jean-Paul Gavard-Perret |
Exposition du 15 Septembre au 30 novembre 2011
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