Jaume Plensa lilliput galerie Lelong

ecrits sur l'art

JAUME PLENSAPLENSA ET LE RETOUR DU TRAGIQUE

 Jaume Plensa, «Lilliput », texte de Jean Frémon  Galerie Lelong, Paris, 2013, 56 pages, 15 Euros.

 Jean Frémon fidèle à son acuité critique donne aux sculptures nouvelles de Jaume Plensa leur juste importance. Né en 1955 à Barcelone Plensa y vit et travaille après de longs séjours dans divers lieux européens :  Berlin, Bruxelles, Fondation Henry Moore en Angleterre ou encore à l’atelier Calder à Saché. Il s’est rendu célèbre dès le début des années 1980 par de grandes formes simples en fonte ainsi que d’immenses tableaux conçus par une hybridation de matières.  Son oeuvre a suivi plusieurs étapes. Il a utilisé  le fer forgé auquel il incorporait des matériaux de récupération. En 1986, il réalise une série de sculptures en fer dans la plus pure des  traditions que « Lilliput » reprend aujourd’hui. Mais avant ce retour il a abandonné pour un temps la figuration, à laquelle il est revient avec force et dans laquelle il incorpore également à sa sculpture des textes, des poésies ou des phrases.

 Véritable inventeur de formes  Jaume Plensa a réalisé de nombreux projets publics, plus particulièrement la monumentale Crown Fountain à Chicago.  L’opéra Bastille a présenté en 2005 sa scénographie pour « La flûte enchantée » de Mozart. D’importantes expositions lui ont été consacrées plus particulièrement au Musée du Jeu de Paume à Paris en 1997, en Europe et aux Etats-Unis, à l’Institut d’Art Moderne à Valencia, à Tokyo, et au MAMAC  à Nice en 2007. Il a également réalisé les décors et costumes pour « Le Château de Barbe bleue » de Béla Bartok et « Le journal d’un disparu » de Leoš Janacek présentés à l’Opéra Bastille à Paris.

 De retour à Paris il présente avec « Lilliput » des personnages en acier inoxydable. Tous semblent des vigies hiératiques et d’insomniaque rêveurs. Ils forment un tragique énigmatique et particulier créé afin d’illustrer  l’affirmation de Chamfort :"Le théâtre tragique a le grand inconvénient moral de mettre trop d'importance à la vie et la mort". Ces personnages semblent donc hors contextualisation  et s’éloignent de tout problème moral pour porter  au paroxysme celui de l'existence et aussi de l’attente dans une figuration qui rappelle par certains aspects le statuaire chinoise.

 La facture d’équilibre de telles œuvres est irritante puisqu’elle s’érige au service d’un déséquilibre. La vie est là mais la mort aussi le tout dans uns plastique pertinente est grave.   Le  retour au tragique prend en conséquence chez Plensa une nouvelle signification, une nouvelle envergure et une posture paradoxale. Il ne s'agit pas d'arracher l’être à son piétinement mais de  souligner ce dernier à travers la réduction progressive du champ et de l’espace. Devenues plus ramassées les sculptures jouent à la fois sur la fermeture et sur l’ouverture de l’espace et du sens là où le paradigme scénique de l’artiste développe un mythe particulier car anonyme.

 L’être est envisagé entre espoir et empêchement car chaque sculpture de silhouette  devient présence non seulement par ses matières fortes mais ses formes tendues. De l’être ne subsiste  qu’un ersatz troué, défait, vide, vide d’une partie de son corps.  Au mieux la tête porte sous son casque son mort en elle. Elle pourrait appeler à l'histoire d'une protestation contre le corps humain qui était déjà en germe dans les premières et déjà sublimes œuvres de l’artiste ibérique.

 L'imaginaire demeure souverain. Et nul plus que Plensa ne peut revendiquer le titre de créateur. De chaque silhouette émerge une figuration inconnue. L’être plus ou moins atrophié, réduit, montre l'incomplétude, le manque . Plensa suggère de cette manière les barrières insurmontables qu'affrontent les existences.  Le tout dans une intensité poétique insoutenable qui  va  au delà de la douleur et de toute formulation verbale.  Preuve comme l’écrit Plensa que “La sculpture ignore la fiction. Elle n’est pas affaire de matériaux, mais d’émotion. Elle n’est pas affaire de volume ou d’espace, mais de temps.”   Mais si les figures renvoient à une sorte de cérémonial temprelle délétère se dégage d’elle une étrange lumière noire. Elle reste le premier animal visible de l'invisible1. Elle avance doucement à travers des pétales de cuirasses. C’est de la lumière blessée mais qui enveloppe certains rêves et règnes énigmatiques. Le regard les contemple, les écoute. Il cherche à en recueillir leurs murmures lointains.

Jean-Paul Gavard-Perret

 

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